Face aux violences, des milliers de Rohingyas ont fui et continuent de fuir le Myanmar pour le Bangladesh voisin. Près de 600 000 Rohingyas ont traversé la frontière ces dernières semaines. Aujourd’hui, le Bangladesh accueille près de 800 000 Rohingyas sur son territoire. Un chiffre qui continue d’augmenter de jour en jour. Et les besoins humanitaires, déjà considérables, ne cessent de s’accroître.
Minorité musulmane apatride, les Rohingyas ont toujours enduré l’histoire et l’évolution des frontières des pays telles qu’on les entend aujourd’hui, au fil de la chronologie séculaire de l’Arakan. Si la crise est fortement médiatisée depuis le 25 août dernier, elle dure en réalité déjà depuis des décennies.
Avant la vague d’arrivée massive de réfugiés Rohingyas depuis l’explosion des violences en août dernier, le Bangladesh en accueillait déjà environ 200 000, répartis dans des camps de par le district de Cox’s Bazar, dans l’extrême sud du pays.
Beaucoup sont arrivés dans les années 1990, dont la plupart résident depuis dans des camps officiels gérés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). En octobre 2016, suite à des affrontements dans l’état d’Arakan, le Bangladesh a connu une deuxième vague d’arrivée de réfugiés installés pour la plupart dans des camps de fortune gérés par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Cette année, les événements d’août 2017 ont causé en un temps très court un exode massif de Rohingyas vers le Bangladesh. De 200 000, les réfugiés Rohingyas au Bangladesh sont devenus près de 800 000 en l’espace de quelques semaines à peine : une ampleur face à laquelle le Bangladesh et les acteurs humanitaires sur place ont été pris de court.
À l’heure actuelle, les camps officiels et les camps de fortune, malgré les équipements structurels et des systèmes de desserte de services fonctionnels, sont complètement dépassés par l’ampleur de cette crise sans précédent. Quelques réfugiés ont pu être transférés vers le camp de Kutupalong – qui accueillait quelque 30 000 réfugiés en juillet 2017, contre près de 80 000 aujourd’hui, bien plus que sa capacité maximale.
Les réfugiés arrivés depuis août 2017 se sont installés sur les collines le long de la route qui relie la ville de Cox’s Bazar à la pointe sud de la presqu’île qui constitue le district du même nom, séparé du Myanmar voisin par la rivière Naf.
Avec ses 120 kilomètres de plage de sable donnant sur le Golfe du Bengale, la plus longue plage au monde, Cox’s Bazar est une destination touristique de prédilection pour les Bangladeshis. Au-delà des collines qui longent la côte, quelque 600 000 personnes sont aujourd’hui entassées le long de cette route dans un rayon de 10-15 kilomètres, où, à l’aide de bambous et de bâches en plastique, elles ont constitué comme elles le pouvaient des abris de fortune, au beau milieu des embouteillages quotidiens. Plus d’un demi-million de personnes coincées dans une poignée de kilomètres carrés.
Ironie sur sort, « les touristes de Cox’s Bazar ont ainsi trouvé une nouvelle attraction : aller voir de leurs propres yeux les camps de fortune où vivent les réfugiés Rohingyas pour leur donner de l’argent, prendre des selfies avec eux… Leurs intentions sont peut-être bonnes, mais ne font qu’augmenter la confusion et le risque d’accidents », raconte un membre des équipes d’urgence d’ACTED.
Le long de la route de Cox’s Bazar, des latrines se succèdent à intervalle régulier ; dès qu’on s’éloigne de la route, au milieu du dédale des abris de fortune, plus rien. La plupart des personnes se lavent et font leurs besoins dans les rizières. Le risque sanitaire est énorme, et, à ce stade, les moyens pour assurer une réponse humanitaire à une telle crise sont incertains.
L’urgence est aujourd’hui à identifier des sites d’accueil de ces réfugiés dans des conditions dignes de sorte à contenir quelque peu la crise et le risque sanitaire. « Aujourd’hui, la flambée de maladies infectieuses n’est pas une question de si, mais de quand », témoigne un membre des équipes d’ACTED déployées en urgence en septembre dernier pour évaluer la situation. L’eau potable, l’assainissement et la gestion des déchets constituent à ce jour une urgence vitale.
Aujourd’hui, l’avenir des réfugiés Rohingyas au Bangladesh est encore vacillant. Les familles s’abritent comme elles le peuvent dans des abris précaires qui ne suffiront pas à les protéger contre les pluies et les vents lors de la prochaine saison des pluies, qui devrait arriver en mars prochain. Le mois de mars est aussi celui des cyclones, dans un pays dont l’indice de risque de catastrophe naturelle est parmi les plus élevés au monde.
Les ONG locales sont d’ordinaire bien préparées à faire face aux catastrophes naturelles. Mais la forte concentration de population en très peu d’espace, la précarité des abris et l’absence ou le mauvais état des infrastructures ne font qu’accentuer une vulnérabilité déjà très élevée. L’émergence d’une catastrophe sèmerait mort et destruction, et augmenterait davantage encore le risque de maladies comme le choléra.
Hommes, femmes et enfants se pressent dans le labyrinthe de bambou et de plastique le long de la route de Cox’s Bazar, sans rien. Certains ont perdu leurs proches au Myanmar, d’autres se sont retrouvés séparés dans leur fuite. La plupart ont perdu tous leurs biens et investi toutes leurs ressources pour partir. Ceux qui sont parvenus à emmener leurs animaux dans leur épopée vers le Bangladesh se résolvent à les vendre pour pouvoir se procurer de quoi manger et de quoi s’abriter.
Entre 10 000 et 15 000 personnes sont actuellement coincées à la frontière, au point de franchissement d’Anjunam Para. Un statu quo à l’avenir encore incertain, au milieu des rizières, sans eau ni nourriture, éreintés après leur traversée vers le Bangladesh.
800 000 réfugiés au total, un chiffre encore temporaire.
Pendant ce temps, depuis l’extrême sud du district de Cox’s Bazar, les colonnes de fumée provenant des villages incendiés dans l’état d’Arakan sont encore bien visibles, de l’autre côté de la rivière Naf.