Depuis le passage de l’ouragan Matthew, Haïti fait face à une nouvelle flambée de choléra. Les équipes d’ACTED sont mobilisées depuis 2010 pour l’élimination du choléra, en construisant des centres de traitement, en sensibilisant les populations aux risques, et en facilitant la prise en charge et le traitement des malades en coopérant avec les structures sanitaires étatiques et les partenaires médicaux.
Lors du passage de Matthew, les inondations et les coulées de boue ont entraîné une recrudescence massive des cas de choléra. Les équipes d’urgence sont mobilisées chaque jour auprès des populations pour contrer la maladie, disséminer les bonnes habitudes de prévention et ainsi éviter la propagation de ce fléau. Nous avons suivi une équipe d’urgence choléra d’ACTED aux Cayes, dans le département du Sud : voici le récit d’une journée type.
Sous le soleil du petit matin, nous retrouvons Lefèvre devant l’entrepôt où sont stockés des intrants choléra. Lefèvre en fait l’inventaire et contrôle les entrées et sorties de matériel de l’entrepôt. À l’intérieur, des centaines de cartons contenant des pastilles de purification de l’eau Aquatab, des boîtes de sel de réhydratation, des savonnettes, des seaux. Livrés par l’UNICEF, ces articles seront distribués dans des villages où des cas de diarrhée aigüe ou de vomissements, premiers symptômes du choléra, ont été déclarés.
Lefèvre prépare et charge du matériel sur un pick-up : une équipe s’apprête à partir pour Torbeck, une commune près des Cayes, suite à une alerte de cas de choléra. L’équipe est menée par La Victoire, chef d’équipe urgence pour les opérations choléra. Il a rejoint l’équipe choléra des Cayes juste après le passage de l’ouragan, après presque un an passé au sein des équipes d’assainissement d’ACTED en Artibonite. Au programme d’aujourd’hui, identifier les cas de choléra dans la zone de Torbeck en rencontrant les patients au centre de traitement choléra des Cayes, puis se rendre dans les zones concernées pour sensibiliser ses habitants et mener des enquêtes approfondies sur les points d’eau utilisés et évaluer la nécessité d’installer des points de chloration de l’eau si nécessaire.
Pour identifier les zones de provenance du choléra et prendre des mesures au plus vite, tous les jours les équipes se rendent au centre de traitement choléra des Cayes pour consulter les registres des nouveaux patients arrivés au centre pour des diarrhées aigües ou des vomissements, symptômes de la maladie. Le centre de traitement choléra, adjacent à l’hôpital des Cayes, a été construit par ACTED en 2015, en collaboration avec la Direction sanitaire du Sud (DSS).
Aujourd’hui, deux nouveaux patients originaires de la commune de Torbeck sont arrivés au centre de traitement choléra des Cayes pour des diarrhées aigües. Ils sont pris en charge par les infirmières du centre, qui font les analyses nécessaires pour identifier s’il s’agit de cas de choléra. Quatre autres patients arrivés la veille en provenance de Torbeck feront aussi l’objet d’investigations par l’équipe.
La Victoire, le chef d’équipe, et Hermann, le sensibilisateur, identifient les six patients concernés dans le centre : au cours de ces rencontres, les équipes vont identifier les maisons des patients et les possibles causes de leurs symptômes, pour pouvoir se rendre sur place, décontaminer les lieux, faire une investigation approfondie des possibles causes et sensibiliser les populations des alentours. Les équipes demandent par exemple si les patients ont consommé de l’eau d’une source douteuse, s’ils ont ingéré des aliments potentiellement contaminés, ou encore s’ils ont été récemment à des funérailles, une autre cause possible de contraction de la maladie, en raison des liquides organiques sécrétés par les dépouilles des défunts.
La consultation des registres permet également d’identifier les nouveaux patients arrivés d’autres zones, et notifier le responsable des programmes d’urgence choléra pour qu’une équipe puisse être envoyée dans la journée sur ces autres zones de provenance du choléra. Aujourd’hui, par exemple, un cas a été identifié dans la commune d’Arniquet. La notification immédiate par l’équipe a permis d’envoyer une autre équipe dans cette commune dans la matinée.
Une fois ce premier travail effectué, nous retrouvons une équipe de Médecins du Monde et un représentant de l’Équipe mobile d’intervention rapide (EMIRA) du Département haïtien de la santé publique. ACTED, Médecins du Monde et l’EMIRA travaillent de concert sur ces interventions pour garantir leur pleine efficacité. L’équipe au complet se rend donc sur les sites d’intervention dans la commune de Torbeck, aux adresses indiquées par les patients. Au total, six interventions auront lieu ce jour, correspondant aux lieux de provenance des six nouveaux patients identifiés au centre de traitement choléra des Cayes. Dans ces communautés, les équipes d’ACTED sont bien connues : elles s’y rendent très régulièrement, pour des sensibilisations ou pour assurer un suivi, et connaissent bien les lieux et leurs problématiques.
Pour les interventions, les équipes vont mettre en place un cordon sanitaire, consistant à, une fois la maison de provenance du malade identifiée :
Investigation
Après avoir rencontré les familles des patients et discuté des circonstances de contraction de la maladie et de ses possibles causes, en demandant par exemple d’où provient l’eau que la famille consomme, si elle est traitée ou non, quels aliments ont été consommés au cours des jours précédents, ou s’ils se sont rendus à des funérailles par exemple. Une fois la cause possible identifiée, grâce aux discussions avec la famille, l’équipe pourra mener des investigations plus approfondies. Le plus souvent, la cause potentielle identifiée est la source d’eau utilisée, contaminée et non traitée.
Nous suivons La Victoire, muni d’un dispositif de test pour contrôler la qualité de l’eau, jusqu’au point d’eau indiqué par une famille dont le père est à l’hôpital depuis le matin. La Victoire remplit la petite fiole du test H2S avec l’eau de la source. Il faudra attendre vingt-quatre heures pour avoir le résultat : si l’eau devient noire, c’est qu’elle est contaminée et susceptible de provoquer le choléra ou d’autres maladies chez ceux qui la consomment. Dans ce cas, les équipes d’ACTED installeront un point de chloration de l’eau, permettant de la rendre propre à la consommation et d’éviter les risques.
Mobilisation
Avec l’aide d’un leader communautaire, une personne issue de la communauté concernée qui va travailler avec les équipes choléra pour aider à diffuser les messages de prévention et avertir des distributions de kits choléra, les équipes vont rassembler les habitants de la zone autour de la maison du patient – en général, une dizaine de maisons localisées à proximité. Une fois ces personnes rassemblées, les équipes pourront exposer la situation et sensibiliser au risque du choléra, avant d’effectuer la décontamination des maisons concernées par l’alerte choléra.
Décontamination
Les équipes pulvérisent une solution chlorée sur les zones potentiellement contaminées (à 0,2% pour les maisons, objets ou vêtements, à 2% pour les latrines ou endroits potentiellement contaminés par des cadavres ou des vomissements).
Sensibilisation
Hermann, le sensibilisateur, entre alors en scène pour sensibiliser la communauté aux problématiques du choléra, les risques et comment les prévenir et les éviter. Il explique quelques gestes simples pour éviter la maladie et sa propagation, comme filtrer, chlorer ou faire bouillir l’eau, ou respecter les précautions sanitaires. Il précise les quantités de pastilles de purification de l’eau Aquatab et les temps d’attente pour que l’eau soit propre à la consommation, ainsi que la nécessité de stocker l’eau dans des récipients propres et fermés. Il explique également quelles sont les précautions basiques à prendre avec les enfants.
Distribution
L’équipe procède à la distribution des différents éléments, présentés en détail par Hermann, à chaque famille : pastilles de traitement de l’eau Aquatab, sels de réhydratation, savons, seaux. Les seaux, munis d’un couvercle et d’un robinet, permettent de conserver l’eau dans un récipient fermé et la préserver de possibles contaminations.
Appliquer les recommandations hygiéniques et sanitaires pour une lutte efficace contre le choléra
Aujourd’hui, la négligence des recommandations sanitaires est une des causes de la persistance du choléra dans certaines zones. Lors de sensibilisation dans la communauté du jeune garçon rencontré le matin à l’hôpital, à Jorgue, La Victoire explique que la semaine passée, lors d’une sensibilisation dans la même communauté, le garçon avait pourtant participé et reçu un kit choléra. « Il faut persister, poursuivre les sensibilisations. Il y a des négligences, et nous devons continuer ces activités de sensibilisation pour faire passer les bons messages ».
Sur le chemin de Jorgue, La Victoire interpelle une femme qui arpente le chemin, un seau d’eau sur la tête. Il lui demande d’où provient cette eau, et si elle est certaine qu’elle est consommable sans risques. Il propose alors de tester l’eau, et par la même occasion de faire une démonstration aux membres de la communauté sur l’utilisation des pastilles de purification Aquatab, la quantité à utiliser et les temps d’attente à observer avant de consommer l’eau.
Assurer un suivi efficace des activités choléra et des communautés concernées par les alertes
Après avoir quitté les communautés, l’équipe se rend une nouvelle fois au centre de traitement choléra des Cayes. Au cours des enquêtes dans les communautés, le décès d’une femme hospitalisée pour le choléra a été signalé. Les équipes craignent donc que certaines zones ou sources d’eau soient contaminées. Elles vont prendre tous les renseignements possibles sur ce cas afin de mener de nouvelles enquêtes plus approfondies le lendemain.
À la fin de la journée, l’équipe remplit un rapport sur les activités effectuées dans les communautés ce jour. Le rapport servira de base pour effectuer un suivi approprié et efficace des cas, et ainsi garantir que la maladie ne se propage pas parmi d’autres habitants.
Le lendemain matin, ce sera une nouvelle journée au sein des communautés pour les équipes d’urgence choléra. Tous les jours, elles se rendent auprès des communautés pour mener des enquêtes et prévenir la maladie, avec une motivation sans failles. Les équipes restent mobilisées chaque jour, et continuent de fournir un travail crucial pour éradiquer ou du moins contenir la maladie en Haïti.